Aux premières heures de la téléphonie, les ingénieurs des laboratoires Bell ont dû faire face à un problème de taille: Les hautes fréquences diminuaient en voyageant à travers les longs câbles, ce qui avait pour effet de rendre les voix sourdes et difficilement intelligibles lors d’appels longue distance. Leurs recherches ont finalement abouti sur la création d’un circuit électronique dont le but était d’augmenter les hautes fréquences à la réception. Ce circuit rendait donc le son égal des deux côtés. Et le nom donné à ce circuit fut bien sûr un égaliseur (EQ). (1)
Les techniciens de son et de mix ont pris pour acquis la nécessité d’utiliser des EQ pour compenser certaines sources sonores “mauvaises” ou pour “mieux” faire sonner certains instruments. L’explication à ce comportement est que, peut-être, nous préférons inconsciemment l’utilisation de certaines fréquences et que nous en évitons soigneusement d’autres.
L’oreille humaine et les parties du cerveau correspondantes se sont développées pour assurer la survie de l’individu, et bien sûr de l’espèce. Nous réagirions très fort si quelque chose venait compromettre cette survie. Une fois que nous comprenons comment le système humain réagit à des stimuli audio extérieurs (i.e: EQ), nous pouvons facilement faire le chemin à l’envers et nous servir de ces informations pour créer un “meilleur” son.
L’être humain est capable d’entendre les fréquences entre 20Hz et 20KHz. Commençons donc par regarder de plus près les bandes de fréquences qui nous touchent à un niveau subliminal: Les basses fréquences. Les infrasons sont, par définition, les sons en dessous de notre seuil d’audition, c’est-à-dire en dessous de 20Hz (ou 20 cycles par seconde). L’oreille est le premier organe à ressentir les infrasons mais, à des intensités plus élevées, il est possible de ressentir les vibrations des infrasons dans différentes parties du corps. Des recherches récentes ont montré que les humains associent certaines fréquences d’infrasons (particulièrement entre 17 et 19Hz) à des sensations de nausées, de chair de poule et d’anxiété.
Vic Tandy était officier expérimental et professeur à temps partiel à l’école d’études internationales et de droit (School of international studies and law) à Coventry University. En 1998, il écrivit avec le Dr. Tony Lawrence du département de psychologie un article appelé « Ghosts in the Machine » (Les fantômes dans la machine) pour le journal de la “Société pour la Recherche Physique” (Society for Psychical Research). Leurs recherches suggéraient qu’un signal infrasonique de 19Hz serait responsable de l’apparition de fantômes.
Vic Tandy travaillait tard, une nuit, seul dans un laboratoire supposément hanté quand il se sentit très anxieux et pût voir dans un coin de son œil comme une forme grise. Quand Tandy tourna la tête, il n’y avait rien. Le jour suivant, Tandy travaillait sur la lame de son fleuret (ndlr: une des trois armes utilisées en escrime). La poignée était maintenue dans un étau et la lame commença à vibrer sauvagement et ce, alors que rien ne la touchait.
Une enquête plus approfondie permit à Tandy de découvrir que le ventilateur extracteur du laboratoire générait une fréquence de 18.98 Hz, ce qui est très proche de la fréquence de résonance de l’œil, donnée à 18Hz par la NASA.(2) La pièce mesurait exactement la moitié d’une longueur d’onde de 18Hz et le bureau se trouvait au centre. Cela provoquait donc une onde stationnaire qui faisait vibrer le fleuret. Vic Tandy pensait avoir vu un fantôme et en déduisit alors qu’il s’agissait d’une illusion d’optique causée par ses globes ophtalmiques résonants. (3)
Dans une autre expérience, le chercheur britannique Richard Lord, un scientifique acoustique au Laboratoire de Physique National (National Physical Laboratory), a participé le 31 mai 2003, à des concerts expérimentaux (intitulés Infrasonic), au cours de deux spectacles, composés chacun de quatre pièces musicales. Deux des pièces de chaque concert jouaient des tonalités de 17 Hz en dessous du contenu musical de la pièce en question.
Lors du second concert, l’ordre des pièces jouées fut inversé pour que les résultats ne se concentrent sur aucune pièce spécifique. Les participants n’avaient pas été informés de quelles pièces contenaient les basses fréquences infrasoniques de 17Hz. La présence de la tonalité de 17HZ a entraîné un nombre significatif (22%) de participants ayant signalé avoir ressenti de l’anxiété, un malaise, une tristesse extrême, des sentiments nerveux de répulsion ou de peur, des frissons dans la colonne vertébrale et des sentiments de pression sur la poitrine.
En présentant de telles évidences à l’Association Britannique pour l’Avancement de la Science (British Association for the Advancement of Science) il a été déclaré que: “Ces résultats suggèrent que les sons de basses fréquences peuvent provoquer des expériences inhabituelles chez certaines personnes même si elles ne peuvent pas entendre consciemment ces infrasons. Certains scientifiques avaient suggéré que ce type de son pouvaient être présents sur des sites prétendument hantés et donc amener les gens à avoir des sensations étranges qu’ils attribuent à des fantômes- Nos résultats appuient ces idées.”(4)
Le 7 décembre 2000, Elizabeth von Muggenthaler, une bioacousticienne de l’Institut de Recherche sur la Communication de la Faune (Fauna Communications Research Institute) en Caroline du Nord, présenta ses conclusions à la Société Acoustique d’Amérique (Acoustical Society of America) à Newport Beach, en Californie. Elle a constaté que le rugissement du tigre avait le pouvoir de paralyser l’animal qui l’entendait (ainsi que l’humain d’ailleurs). Cette paralysie est juste assez longue pour donner au tigre un avantage momentané. Au cours de cette réunion, elle a discuté de son travail en analysant la fréquence des sons émis par des tigres pour mieux comprendre la partie du rugissement qu’on peut ressentir sans toutefois l’entendre.
Dans cette première étude unique en son genre, Von Muggenthaler et ses collègues ont enregistré chaque grondement, sifflement, souffle et rugissement de vingt-quatre tigres au Carnivore Preservation Trust à Pittsboro (Caroline de Nord) ainsi qu’au Parc Zoologique Riverbanks (Riverbanks Zoological Park) à Columbia (Caroline du Sud). Ils ont constaté que les tigres pouvait émettre des sons aux alentours de 18Hz. “Quand un tigre rugit, le son va vous frôler et vous paralyser” a déclaré Von Muggenthaler.(5)
Vous devez également faire attention quand vous utilisez de l’EQ et le placement de deux sources sonores dans l’image stéréo gauche-droite. Cela peut créer un battement binaural (Binaural beats). Le battement binaural (ou son binaural) est une illusion auditive (c’est-à-dire un son apparent dont la perception apparaît dans le cerveau en raison d’un stimulus physique spécifique). Cet effet a été découvert en 1839 par Heinrich Wilhelm Dove. Le cerveau produit un phénomène perçu comme des pulsations de basse fréquence du volume sonore, lorsque deux sons de fréquences légèrement différentes sont présentés indépendamment à chaque oreille du sujet (par exemple à l’aide d’un casque stéréo). Si la différence entre les deux fréquences est de 4 Hertz, le sujet entendra 4 battements par seconde.
Un battement binaural sera perçu comme si les deux sons se formaient naturellement hors du cerveau. L’effet sur les ondes cérébrales dépend de la différence de fréquences de chaque tonalité: par exemple, si 300 Hz sont joués dans une oreille et 310 Hz dans l’autre, alors le temps binaural a une fréquence de 10 Hz. Donc, vous pourriez avoir très facilement un instrument que vous augmentez autour de 300Hz à l’oreille gauche pendant que l’autre a été amplifié à 319Hz dans l’oreille droite, ce qui donnerait un battement binaural à très basse fréquence de 19 Hz.
Vidéo sur la peur et l’anxiété induites en musique:
Fear/Anxiety Inducing Music – 17 hz tone laced with 396 hz binaural beat (Warning: Negative Affect)
Donc, la prochaine fois que vous pensez qu’il n’est pas utile d’utiliser un filtre passe-haut (High Pass Filters) quand vous égalisez un son, vous devriez penser aux conséquences qu’il pourrait y avoir à ne pas le faire. Les infrasons peuvent voyager sur de longues distances, peuvent pénétrer des bâtiments, traverser des forêts denses et même des montagnes. Plus la fréquence est basse, plus la distance parcourue par le son peut être grande.
Si votre micro peut capturer des fréquences très basses et que vous utilisez un support d’enregistrement numérique, alors vous avez certainement beaucoup d’infrasons qui encombrent vos enregistrements et vos mixages. La présence d’infrasons pourrait même créer une émotion diamétralement opposée à celle que vous recherchez dans cette douce chanson d’amour… Ou être exactement ce que vous recherchez dans ce morceau agressif de Dubstep.
Notes de l’auteur et corrections (28 mai 2017):
J’ai posté cet article sur un forum où Ethan Winer avait ouvert un sujet sur les basses fréquences et lui ai demandé ce qu’il en pensait. Et j’ai été très heureux de ne pas avoir été écorché vif ! Mr Winer est l’un des meilleurs experts mondiaux en acoustique et l’un des propriétaires de RealTraps. Ethan est bien connu dans l’industrie audio pour ses articles dans les magazines spécialisés tels que: Electronic Musician, Mix, PC Magazine, EQ, Keyboard, Recording, Audio Media, Strings, The Strad, R-e/p, etc… Ethan a sans doute fait plus que quiconque pour promouvoir l’importance du traitement acoustique.
Voici ce qu’il m’a répondu et l’erreur qu’il a corrigée. Honte à moi et merci Mr. Winer!
Ethan Winer : “J’aime que tu commences à expliquer pourquoi un égaliseur est appelé un égaliseur. Je suis d’accord avec presque tout ce que tu as écrit et j’ai trouvé ton article très intéressant. J’aime aussi la présence de références sur la recherche actuelle. J’aimerais que d’autres journalistes audio fassent ça au lieu d’écrire de la merde, ce qui est devenu si courant à notre époque de fausses nouvelles. 😀
La seule chose que j’ai à redire (et c’est très mineur) concerne cette phrase:
« Donc, vous pourriez avoir très facilement un instrument que vous augmentez autour de 300Hz à l’oreille gauche pendant que l’autre a été amplifié à 319Hz dans l’oreille droite, ce qui donnerait un battement binaural à très basse fréquence de 19 Hz ».
Dans le but de créer un battement tonal à 19Hz, les fréquences de 300 Hz et 319 Hz doivent être présentes à des niveaux relativement similaires. Le fait de booster ces fréquences ne garantit pas 19 Hz, à moins que les sources sonores soient du Pink Noise (bruit rose) et que les boosts possèdent un Q extrêmement élevé. Aucune de ces fréquences ne s’aligne sur des notes musicales donc cela laisse les toms (et autres) intacts. Mais encore une fois, les toms devraient contenir ces fréquences spécifiques.
Je réalise que c’est une correction extrêmement pointilleuse mais tu m’as demandé ! 😀
(1) – « Mixing Audio: Concepts, Practices and Tools » – Roey Izhaki (p.205)
(2) – NASA Technical Report 19770013810
(3) – Tandy & Lawrence 1998 « The ghost in the Machine » Journal of the Society for Psychical Research, 62 360-364 / Tandy, V. (July 2000). « Something in the cellar.« (PDF). Journal of the Society for Psychical Research 64.3(860). Archived from the original (PDF) on 2011-09-29./ Arnot, Chris (11 July 2000). « Ghost buster« . The Guardian (London). Retrieved 5 May 2010./ Who ya gonna call? Vic Tandy! – Coventry Telegraph / Internet Archive Wayback Machine. 2007 version of Vic Tandy’s Ghost Experiment webpage
(4) – Infrasonic concert, Purcell Room, London, 31 May 2003, sponsored by the sciart Consortium with additional support by the National Physical Laboratory / Sounds like terror in the air Sydney Morning Herald, 9 September 2003. / NBC News – spooky effects