Une grande partie d’ingénieurs du son débutants ont baigné dans la pop, rock, hip-hop ou musique électronique et sont très peu familiers avec le monde de la musique classique. Comme dans beaucoup de domaines, si vous n’avez pas une bonne compréhension des notions de base, du vocabulaire, des règles et des conventions, simplement par votre langage et votre façon de procéder, ceux qui vous entourent se rendent rapidement compte si vous êtes à votre place ou pas. Dans un monde où la confiance est essentielle, ils ont besoin de savoir qu’ils peuvent vous faire confiance ainsi qu’à vos oreilles. Je vais partager avec vous quelques observations de mes premières expériences comme technicien travaillant avec des musiciens classiques. Ici je vais parler de quelques concepts de base et la prochaine fois je me concentrerai plus sur la prise de son elle même.

 

1) Le son de l’orchestre : la réverbération


Quand le public dans une salle écoute un concert d’orchestre symphonique, il y a des chances qu’il entend davantage de son indirect (réverbération) que son direct. À moins d’être assis dans les premières rangées de la salle, la majorité du son qui atteint l’oreille a voyagé et s’est heurté à des surfaces et des obstacles (murs, balcons, plafonds, sièges…). Cela veut dire en gros qu’il y a beaucoup de réverbération dans la musique symphonique (voir le graphique) et qu’elle fait partie intégrante de la musique. La quantité de réverbération devrait donc influencer votre placement de microphones. Voici quelques exemples de paramètres de réverbération avec lesquels débuter :

Temps de réverbération

Musique vocale Musique orchestrale Musique d’orgue
  • Pre delai: 20ms – 60ms
  • Pre delai: 30ms – 130ms
  • Pre delai: 110ms – 165ms
  • RT: 0,5s – 1,5s
  • RT: 0,75s – 3s
  • RT: 2,5s – 4s

 

2) Orchestre symphonique vs. Orchestre d’opéra : la fosse


Les commentaires ci-dessus sont d’autant plus vrais quand on a affaire à un orchestre qui joue un opéra. L’orchestre qui accompagne les chanteurs sera placé dans la fosse, presque entièrement caché du public. Le son direct de l’orchestre n’est donc jamais vraiment entendu par les auditeurs. Voyez ci-dessous des photos (provenant de Wikipedia) qui montrent les différences assez bien.

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Les sièges, la fosse et la scène.

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L’orchestre dans la fosse (bas) durant la performance d’un opéra sur scène (haut).

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Orchestre symphonique sur scène.

Source Wikipedia

 

3) Une bonne acoustique: pour les musiciens


Lorsqu’on enregistre, les musiciens “classiques” peuvent être quelque peu difficiles à propos de l’environnement acoustique dans lequel ils enregistrent. Afin d’obtenir un enregistrement de qualité, la réverbération doit leur plaire. Un symptôme qu’ils sont en train de se battre avec la réverbération de la salle est quand ils doivent jouer moins fort afin d’éviter d’exciter la réverbération de la salle/pièce. L’inverse est aussi vrai. Par exemple, un isoloir (« booth ») est un endroit fantastique pour enregistrer plusieurs sources mais le manque de réverbération peut mettre un musicien classique mal-à-l’aise. L’ajout de réverbération à un moniteur peut aider le problème, cependant la plupart des musiciens ‘classiques’ n’utilisent pas de mix d’écouteurs à moins d’y être contraint. Les musiciens auront probablement besoin de temps pour s’adapter au son de leur instrument dans les écouteurs, ce qui peut modifier leur manière de jouer. En tant qu’ingénieur du son professionnel vous devriez être en mesure d’enregistrer un solo ou un duo sans avoir recours à des écouteurs. Si vous enregistrez un chanteur d’opéra accompagné d’un piano, oubliez les écouteurs! S’il vous faut un système « talk-back » servez-vous d’une enceinte non bruyante placée dans le studio. Lorsqu’on enregistre un ensemble, les musiciens doivent aussi pouvoir s’entendre entre eux. Idéalement ils ne doivent pas être obligés de changer leur façon de jouer pour l’enregistrement. Les musiciens ont probablement beaucoup pratiqué dans un espace d’une certaine acoustique et maintenant leur performance acoustique va être enregistrée dans un espace qui leur est inconnu et où ils ne peuvent s’entendre comme d’habitude. Même si l’espace d’enregistrement est supérieur en qualité, ça peut rendre le musicien mal-à-l’aise. Je n’ai moi même jamais fait un enregistrement d’une session ‘classique’ où on utilisait des mix moniteurs comme dans une session pop typique, donc si les musiciens ne peuvent pas s’entendre correctement, ça veut généralement dire qu’il faut les placer différemment. Souvenez-vous, c’est le rôle du technicien de son de s’adapter aux musiciens et non l’inverse.

 

4) Le chef d’orchestre


Lorsqu’on travaille avec un chef d’orchestre vous devez savoir que c’est lui qui ‘mix’. Il est responsable du timbre (EQ) de l’orchestre aussi. Les musiciens savent comment adapter leur jeu basé sur la partition et les signaux du chef d’orchestre. En théorie, vous n’avez qu’à capter la performance que les musiciens donnent avec l’aide du chef d’orchestre. Le chef d’orchestre extrait les sons qu’il veut de l’orchestre. Par contre, c’est vous qui avez le contrôle de la réverbération : le placement des microphones à une certaine distance de l’orchestre vous permet de capter plus ou moins de réverbération de la salle. En passant, ce que le chef tient dans sa main s’appelle une baguette, pas un bâton.

 

5) Reconnaitre les instruments


Rien ne démontre le manque d’expérience autant que de ne pas reconnaitre les instruments, soit physiquement quand ils sont devant vous, soit auralement dans un enregistrement. Si vous dites que vous aimez le son de la clarinette et que c’est en fait un hautbois qui joue, vous n’allez pas gagner en crédibilité. Par exemple un ingénieur du son sans expérience peut confondre un violon et un alto et vice versa. Les deux se ressemblent mais le dernier est plus grand et a un registre plus grave que le premier. Évidemment, l’écoute critique aide énormément et avec l’expérience vous serez en mesure de déterminer s’il s’agit d’un trombone ou d’un cor français. Par ailleurs, vous avez besoin de savoir qu’un quatuor à cordes est composé de deux violons, un alto et un violoncelle. Malgré ce que quelques étudiants avec qui j’ai pu discuter croient, il n’y a pas de contrebasse dans un quatuor à cordes. Autre chose à savoir : un orchestre symphonique est composé de quatre groupes d’instruments : les cordes, les bois, les cuivres et les percussions. Le saxophone ne fait pas partie de l’orchestre, ni le piano. La harpe ne fait pas systématiquement partie de l’orchestre, ni le clavecin, quoi qu’on retrouve ce dernier dans plusieurs opéras.

 

6) Piano


Quoi que le piano, ou piano forte tel qu’on l’appelle officiellement, ne fait pas partie de l’orchestre symphonique, on peut l’entendre en accompagnement de l’orchestre symphonique dans un ‘concerto’ pour piano. En tant qu’ingénieur du son en devenir, vous avez plus de chances d’enregistrer un piano qui accompagne un instrument solo ou un chanteur. Par exemple, vous pourriez enregistrer un étudiant en violon qui donne un récital avec un piano qui l’accompagne au lieu d’un orchestre complet. Un chanteur d’opéra peut aussi chanter accompagné seulement d’un piano. Si vous n’êtes pas familier avec ce genre de musique, vous devez être conscient du placement du soliste par rapport au piano (voir ci-dessous).

 

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Si le piano accompagne un musicien, placez le musicien où se tient le violoniste sur l’image.

Puisque le piano est en accompagnement du soliste ou chanteur, il devrait être moins fort sur l’enregistrement que l’autre musicien. C’est là où entre en jeu le couvercle du piano. Si le piano est complètement ouvert, il sera plus fort que si le couvercle est fermé. Il existe aussi une position à mi-chemin qui garde le couvercle ouvert partiellement. On entend clairement la différence dans les exemples audio suivants. Essayez de deviner quel fichier audio a été fait avec le couvercle en position ouverte ou fermée.

 

 

Conclusion


Vous ne devriez pas feindre de connaitre la musique classique. Dans le monde compétitif des techniciens de son, c’est dommage de devoir refuser un contrat ‘classique’ simplement parce que vous n’êtes pas familier avec le genre. Comme souvent, la clef est dans la préparation : écoutez la musique. Je vais parfois à la bibliothèque pour emprunter plusieurs versions d’une même œuvre (orchestre différent, enregistrement différent). Je lis toujours les notes dans le livret qui accompagne l’album. Il y a souvent beaucoup d’information et ils servent de bons guides lors d’une écoute critique avec écouteurs de qualité. Si vous ne savez pas par où commencer, je vous suggère l’œuvre préféré de Rupert Neve : le « Messie » de Georg Friedrich Haendel. Lors du prochain article je mettrai l’emphase sur la session d’enregistrement ‘classique’ elle même.
Le masculin a été utilisé pour alléger le texte.

Question, commentaires? k.blondy@musitechnic.net
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